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PORTRAIT : « La musique de mon pays, c’est un vrai trésor. »

PORTRAIT : « La musique de mon pays, c’est un vrai trésor. »

Piera et Araz ont eu le coup de foudre l’un pour l’autre en 2013 lors de la Fête de la musique en Azerbaïdjan et depuis ils ne se sont plus quittés. Rencontre avec deux êtres dont le parcours entremêle diversité culturelle et linguistique sur fond de création musicale.

En 2013, Piera fait la connaissance d’Araz, jeune artiste azéri, alors qu’elle est responsable de l’Institut français en Azerbaïdjan, en charge de l’organisation de la Fête de la musique à Bakou, la capitale. Quelques mois plus tard, les voilà mariés et installés en France, à Toulouse. Une telle rencontre n’aurait pu être possible sans la passion de Piera pour les langues orientales et notamment le russe. « Mon père est franco-grec et ma mère est franco-polonaise donc j’ai grandi dans un milieu pluriculturel, explique-t-elle. Quand j’avais 5 ans, mes parents ont fait un voyage en Europe de l’Est, notamment en Ukraine et en Pologne, les pays de ma grand-mère maternelle. Ils ont profité de la chute de l’URSS pour y faire un grand voyage et pour que ma mère puisse découvrir la culture de sa mère parce qu’elle n’a pas pu bénéficier de cette richesse interculturelle. Et ils sont revenus avec des contes, des balalaïkas, des jouets, etc., et moi, j’ai baigné dans ce monde slave. » De fait, l’histoire familiale de Piera est en partie liée à la grande Histoire, celle qui a vu les frontières européennes se modifier et la domination soviétique s’étendre à d’autres pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le village où est née sa grand-mère était polonais avant la guerre, mais une fois celle-ci terminée, il était désormais ukrainien. Pour Piera, apprendre la langue de ce pays était une nécessité. Trouver des cours d’ukrainien était mission impossible ? Eh bien, soit, elle apprendrait le russe, parlé dans tout l’ancien espace soviétique. Par chance, dans son collège, elle pouvait choisir le russe comme première langue vivante. « J’étais tellement passionnée par le russe et par les langues en général que j’ai ensuite décidé de faire mes études à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) à Paris. C’est une université complètement géniale où on peut apprendre 92 langues rares. J’ai appris le russe, le biélorusse, le géorgien, et avant de partir en Azerbaïdjan, un peu d'azéri. »

Grâce à sa connaissance de langues peu étudiées en France, Piera s’est retrouvée à travailler dans l'humanitaire et la diplomatie, ce qui l’a conduite, lors de sa dernière mission, en Azerbaïdjan, un pays hélas bien peu connu sous nos latitudes. La patrie d’Araz, que ce dernier est fier de présenter. « Partout où je vais, je porte l’hospitalité et la douceur de mon peuple, et la grande Histoire de mon pays en moi, et plus que tout la musique d’Azerbaïdjan. Je suis musicien, et pour moi, la musique de mon pays, c’est un vrai trésor. Quand je l’écoute, ça me donne envie de rester heureux tout le temps parce que chaque fois que j’entends le chant traditionnel azéri, je revois les montagnes, les forêts de mon pays, et la mer Caspienne, le goût de la mer Caspienne, le son de la mer Caspienne,… C’est un trésor qui vit en moi. »

 

« Dans ma famille, on parle tous le russe et l’azéri »

Situé sur la ligne de division entre l’Europe et l’Asie, sur les rivages de la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan est un pays du Caucase frontalier de l’Arménie, la Géorgie, la Turquie, l’Iran et la Russie. L’ancienne puissance soviétique a laissé des traces dans cette république, autrefois membre de l’URSS. La langue russe notamment est encore parlée par une minorité de gens à Bakou. Rien d’étonnant à cela puisque à l’époque soviétique, le russe était la langue vernaculaire, celle que tout le monde parlait, sauf dans les campagnes. Bakou, ville portuaire et cosmopolite par excellence, a, du reste, toujours été au confluent des échanges commerciaux avec les Perses, les Turcs et les Russes. « Dans ma famille, on parle tous le russe et l’azéri, raconte Araz. Et c’était pas vraiment difficile à apprendre. Je peux parler couramment le russe et couramment l’azéri. En fait, les jeunes originaires de la capitale parlent tous russe couramment. Quand j’étais enfant, à l’école, tout le monde parlait russe. Les Bakinois parlaient russe mieux qu’ils parlaient azéri à mon époque. Mais maintenant tout a changé. » En effet, depuis la chute du mur et l’indépendance de l’Azerbaïdjan, le russe disparaît progressivement, au profit de l’azéri, désormais langue nationale. Une évolution qu’Araz ne remet guère en cause. Après tout, l’azéri est la langue originelle de l’Azerbaïdjan, et il est normal que ses habitants s’expriment enfin dans leur langue et non plus dans celle du pays qui les a longtemps dominés. « Il faut parler azéri parce que l’Azerbaïdjan a de grands poètes, de grands écrivains qui écrivent en azéri, et il faut que ma génération et les futures générations parlent azéri et lisent ce que les poètes et les écrivains écrivent en azéri parce que c’est une vraie richesse. » Cependant, le jeune homme est d’accord pour reconnaître qu’il serait dommage d’abandonner complètement la langue russe car celle-ci ouvre la possibilité d’accéder à une autre culture et notamment aux grands écrivains russes que sont Pouchkine et Dostoïevski, qu’il est préférable, selon lui, de pouvoir lire dans le texte original et non en traduction. Piera partage son avis. « Je trouve que le bilinguisme est une énorme richesse. C’est dommage qu’en Azerbaïdjan mais pas seulement, en Arménie, en Géorgie, dans presque tous les pays qui étaient autrefois russophones, les jeunes délaissent le russe au profit de l’anglais qu’ils ne peuvent pourtant pas pratiquer autant pour la bonne raison que grand voisin, c’est la Russie et le russe reste la langue de communication dans cette zone. Un Arménien, un Géorgien et un Azéri qui se rencontrent, parlent en russe. » Piera souligne tout l’avantage qu’il y a à parler nativement plusieurs langues, par opposition au monolinguisme français qu’elle voit comme l’une des raisons des difficultés des Français dans l’apprentissage des langues étrangères. Néanmoins, force est de constater que pour les jeunes Azéris, ce sont désormais l’Europe et les États-Unis qui font rêver, d’où la perte de vitesse du russe, concurrencé par l’anglais, sans compter la forte émigration des populations russophones. Les temps ont changé.

Araz fait peut-être partie de la dernière génération d’Azéris qui peuvent encore considérer le russe comme une deuxième langue maternelle, ce qui permet au jeune homme d’affirmer : « On peut dire que j’ai appris seulement deux langues, l’anglais et le français. » C’est son père qui l’a poussé vers l’anglais et aujourd’hui il lui en est reconnaissant car c’est la langue qu’il préfère. Le français, c’est une autre histoire. « Le français, c’est une langue que j’étais obligé d’apprendre, mais c’est aussi une langue que j’aime vraiment. J’ai du respect pour le peuple français, et je suis là en France, je vis en France,… Je pourrais parler anglais mais j’ai pris la décision d’apprendre le français pour bien m’intégrer, pour respecter les Français. »

 

« L’autre partie de moi que j’appelle Zara »

L’intégration, un point souvent problématique pour tous ceux qui font le choix de s’installer dans un autre pays. Heureusement, Araz peut compter sur l’aide et le soutien de sa femme. Piera l’a en effet aidé à s’acclimater aux coutumes françaises, aux différences qui peuvent exister entre notre conception des rapports hommes/femmes ou encore des rapports entre amis, et celle en vigueur en Azerbaïdjan. Bien plus que cela, elle a mis sa propre carrière entre parenthèses pour le soutenir dans ses projets musicaux, car Araz est avant tout un artiste qui espère bien percer sur la scène musicale. Auteur, compositeur, interprète, il a son propre groupe, The Preachers, dont le son mêle funk, soul, rock, blues. Si jusqu’ici le groupe a surtout interprété des reprises de titres en anglais, ils préparent des morceaux inédits, dont cinq sont déjà enregistrés, et qu’ils interprèteront lors de leur prochain concert le 5 février.

En parallèle, Araz développe sa propre musique, mélange d’influences soufies, de sons psychédéliques des années 60, et de musique traditionnelle azerbaïdjanaise, le mugam. Celui-ci, à l’instar de la musique soufie, est basé sur l’improvisation, la répétition des motifs, et le thème spirituel de l’amour divin, l’amour pour la nature et l’amour pour la femme. « Le mugam c’est très compliqué, il y a énormément de nuances, et je ne peux pas dire que je suis chanteur de mugam parce que je ne fais qu'utiliser quelques motifs de mugam et beaucoup de nuances de musique soufie et je mélange tout ça avec ma propre vision du monde, ma propre vision des choses. » Piera et lui en profitent au passage pour évoquer la particularité du soufisme, courant mystique de l’islam qui prend ses distances avec les dogmes musulmans traditionnels. Araz évoque notamment le poète soufi azéri Saiyid Imad ad-din Nassimi qui vécut de 1369 à 1417 et qui fut exécuté par les autorités de l’époque pour ses propos progressistes, entre autres concernant l’éducation des femmes. « Mais dans le domaine musical, c’est plutôt le chanteur soufi pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan qui m’a inspiré. Quand je l’ai écouté, je suis vraiment tombé en transe et j’ai trouvé l’autre partie de moi que j’appelle Zara, parce que je m’appelle Araz et Zara, c’est Araz à l’envers. Zara c’est l’autre côté, c’est comme la face obscure de la lune. Il y a la lune qu’on voit et il y a la lune qu’on ne voit pas. »

Araz n’en oublie pas pour autant son amour du blues et des groupes qui ont marqué l’histoire de la musique anglo-saxonne : les Beatles, les Rolling Stones, les Bee Gees, Led Zeppelin, Pink Floyd, des groupes dont il doit surtout la découverte à son père qui lui a offert la première cassette des Beatles lorsqu’il n’avait que 8 ans. Contrairement à ses camarades de classe qui n’écoutaient que de la pop commerciale, Araz a ainsi baigné dans un univers musical plus riche. Aujourd’hui, c’est fier de ses racines et de ses différentes influences musicales qu’il peut participer à l’édition 2016 du célèbre télé-crochet de TF1, The Voice, une expérience qu’il ne regrette pas, même s’il n’a pas pu continuer au-delà de l’épreuve des battles. S’il a tenté l’aventure, c’est entre autres parce que certains de ses amis chanteurs en Azerbaïdjan ont participé à des versions étrangères de The Voice, ce qui leur a ouvert de nombreuses opportunités. Alors pourquoi ne pas essayer ? Il aura bien fait car, ainsi que nous pourrons le découvrir samedi prochain, tous les coachs se sont retournés et il a choisi Zazie. « J’ai rencontré plein de musiciens et de chanteurs intéressants. Je ne regrette rien. Le plus marrant, c’est que les gens nous voient deux minutes à la télé mais ils ne savent pas qu’on a passé des heures de préparation. Ils me voient deux minutes et ils pensent : “Ah ouais, il a chanté bien” mais ils ne savent pas que j’ai attendu seize heures pour chanter ces deux minutes. J’avais les yeux complètement rouges au moment où je suis passé et Zazie m’a demandé : “Est-ce que tu as fumé quelque chose ? Est-ce que tu as pris quelque chose ?”J’ai dit que c’était seulement la fatigue. »

Il espère bien que son passage dans l’émission lui donnera davantage de visibilité pour promouvoir sa propre musique.

 

Nous pourrions laisser Araz et Piera sur cette note musicale et positive et les laisser retourner à leurs divers projets, comme celui de café culturel que Piera projette de créer à Toulouse, un lieu où tous, Français comme étrangers, pourraient se retrouver et échanger pour apprendre les uns des autres en dépassant les barrières culturelles, sociales et linguistiques. Mais Araz tient encore à nous parler de son pays pour mentionner des faits bien peu connus en Occident, qu’ainsi l’Azerbaïdjan a accordé le droit de vote aux femmes bien avant la France, en 1918, lors de la trop brève période démocratique que le pays a connu, qu’il a été le premier pays musulman à permettre aux femmes de ne pas porter le voile, d’aller à l’école et d’étudier dans des classes mixtes. Enfin, Araz voudrait également que l’on sache que 20% du territoire de sa patrie est aujourd’hui occupé par l’Arménie, dans le cadre d’un conflit armé qui dure depuis la chute de l’URSS. Et comme un message à tous ceux qui ne connaissent pas ce petit pays situé à la frontière du continent européen et de l’Asie, il nous invite encore une fois à faire preuve de curiosité et à découvrir la culture extraordinaire de cette terre.

Propos recueillis par Viviane Bergue

 

Page Facebook de The Preachers : https://www.facebook.com/the.preachers.band/

Chaîne d'Araz sur YouTube : https://www.youtube.com/channel/UCPrlt4vQVXL0ZhZu1rT2Yew

Site Internet d'Araz (bientôt en ligne) : http://www.arazozara.com

 

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